Etre, tu es.

Etre tué en Afrique du Sud parce qu’on est immigré.

Dans les hostels (anciennes habitations des mineurs) des faubourgs de Soweto où vivent près de 4 millions de personnes, la violence qui y avait régné en mai 2008 est sans nom. Pendant que des immigrés étaient chaleureusement assassinés par certains, d’autres leur volaient téléviseurs et électroménagers. La faim, semble-t-il, justifiant les moyens. Barbarie d’un autre âge qu’aucune crise ne peut et ne doit tolérer. Il ne peut être accepté que le peuple sud-africain reconduise contre autrui la violence dont il a été victime du temps de l’apartheid. Il ne peut en tirer aucune légitimité.

Innocentes victimes d’une population étouffée et qui a trouvé, en l’autre, le bouc-émissaire. Soixante deux personnes furent sauvagement assassinées, brûlées vives ou découpées à la machette ; parfois sous le regard indifférent de passants.

Que faire de la présence d’autrui parmi nous ?

Interrogation essentielle à laquelle invite l’historien camerounais  Achille Mbembe dans son dernier livre « Sortir de la grande nuit ».

Dans tous les lieux de vie, la stigmatisation est devenue de mise. On s’épie, se surveille, fouille,  trie et tire, très souvent à bout portant. Sans en tirer aucun profit humainement acceptable.

Entre la « souche » et le « rajout », on cherche à tracer les lignes. A différencier pour mieux juger. Se jauger sur une barre économique parée de chiffres. Entre croissance et décroissance,  en plus ou en moins, la tension, c’est selon, fluctue.  Les pics statistiques justifiant toutes répliques sanglantes contre des innocents. Il faut alors toujours trouver des responsables aux  malaises et mal-vivres. Personne n’est jamais responsables de ses propres mauvais choix ; encore moins de ses échecs. Les incapacités et incompétences nous renvoient ces tares que nous ne voudrions jamais voir. Tous les moyens sont alors bons pour se projeter dans les ombres des autres. Figurines mobiles et vulnérables qu’on souhaite manipuler à souhait. Leur faire porter tous les fardeaux, tous les malaises. Economiques et sociales. Des histoires finissent alors par s’empiéter dans une chronologie à l’envers. Rien ne se paire. Tout est individuel sauf l’échec. Et tout le monde paie et perd.

Sifiso Seleme, chorégraphe et créateur de sens : se servir de l’art pour prévenir la violence

Le 19 mai, pour commémorer ces douloureux évènements de 2008, le chorégraphe sud-africain Sifiso Seleme a invité à une performance à Dube Hostel . Le seul quartier de tout Soweto où aucun immigré ne fut tué. Parce que défendu par les populations.

Tuer est un acte violent. Simple dans le geste. Rapide dans le temps. Et le sang qui coulera ou les os qui se calcineront, avec l’aide du vent, traverseront les âges, les siècles et les civilisations. On retiendra alors qu’un moi de mai 2008, des Hommes ont tué d’autres Hommes. Mise à mort. Mise à feu. Torches humaines flambantes sur les artères sombres de Johannesburg. La lumière ne se fera jamais.

Quatre années après, le chorégraphe Sifiso reprend la flamme pour que, plus jamais, un étranger ne soit tué pour fait d’immigration. Comme en 2008, il avait sa victime, reconstruite en papier journal, sa machette et son feu. Exécution symbolique. Catharsis. « Sous mes yeux, j’ai vu des torches  humaines se consumer, des étrangers découpés à la machette, sans que la foule ne s’y oppose… je ne pouvais, seul, rien faire… et je vis avec ce souvenir douloureux. La performance d’aujourd’hui, devant ce public, m’aidera peut-être à surmonter mon malaise en tant que sud-africain » dit-il, faisant sienne cette affirmation de Achille Mbembe : là où ce qui a débuté par le sang s’achève dans le sens, les chances de recommencement sont amoindries par la hantise de l’horreur du passé.

De Thabo à Jacob, l’héritage écaillé de Mandela

A Thabo Mbéki, il a été reproché sa grande politique africaine au détriment de la cause intérieure. Ses ambitions, à la suite de Mandela, pour un continent fort, avec l’Afrique du Sud et le Nigéria comme moteurs, n’ont pas fait que des heureux. Une année avant la fin de son mandat, la révolte sonna ; obligeant l’Etat sud-africain, pour la première fois depuis la fin de l’apartheid, à déployer l’armée dans les rues. Les étrangers, à qui les portes du pays ont été grandement ouvertes pour contribuer à la création de richesses, se verront stigmatiser par les autochtones de plus en plus exclus par un système nivelé par le haut.

Ces évènements précipiteront le départ de Thabo Mbéki au profit de Jacob Zuma. C’était un mois de mai 2009.

Un destin collectif ne s’invente pas. Les trajectoires plurielles et profondément construites autour d’histoires personnelles l’en empêche. S’il faut marcher comme un seul Homme vers un destin commun, il faut accepter la multiplicité des différences que doit absorber cette unité. Il y a celles et ceux qui viennent et repartent assez vite. Il y a aussi celles et ceux qui viennent et repartent plus lentement. Et il y a celles et ceux qui viennent pour toujours. Cette terre est aussi leurre. Parce que toute l’histoire de ce pays leur est en partage. Son avenir leur incombe alors de droit.

L’Afrique du Sud se doit de renforcer sa politique africaine pour aider son peuple à découvrir ces autres peuples qui ont, stoïques, porter son combat pendant qu’il était sous oppression.

L’histoire sud-africaine est en partage comme patrimoine de l’humanité. Elle s’est construite en s’accoudant sur des pays, sur des femmes et hommes de l’intérieur et de l’extérieur, sur des résistances muent par le seul souci de la justice.  De l’égalité.

 

Crédit photo : Robert Carrubba