Il était une fois…

Au commencement de cette fois, il n’y avait presque personne, nul part.

Avec le temps, surgissent des espaces de vie, conséquence des migrations qu’a connue l’Humanité.

Les lieux d’habitation, à l’origine, étaient l’aboutissement de la règle primaire du vivre ensemble : la justice.

« Dëgg » : l’appui, la tour, l’équilibre (walaf)

« Goo nga » : l’inamovible, le seul, l’unique (Pël)

Comment cette justice se manifestait-elle ?

De deux sortes :

  • Le coupable reconnaît sa faute et change de quartier si c’est un délit primaire (tuxu : quand on faute, on s’asphyxie, « tux ». En changeant de quartier, on se dés-asphyxie, « tuxu »)
  • Et en cas de délit aggravé (comme le crime ou la trahison), la communauté t’oblige à l’exil. Et en partant, elle te donne une paire de vaches et un taureau. On partait seul ou en famille si on avait femme et enfants. « gaddu sa ay » dem. « gaddaay »

De la ville

Si les villes sont généralement le fruit des migrations, les peuples nomades ont aidé à les « faire ».

La ville, appelée « wuuró » (de nguurndam) en Pël, traduit « là où il fait bon vivre ». « Le lieu du repos ».

Quand il leur arrivait de se poser, chaque famille délimite son chez soi (Galle), qui viendrait peut-être du walaf “gàll” : parer, délimiter (par extension). Et dans cet espace délimité qui fait maison, on crée le lieu de l’intimité, suudu (se cacher).

Dans ce lieu où il fait bon vivre « wuuró », l’étranger (koɗo) se confond au résident (koddo).

Dans cet espace de vie, la règle essentielle était de s’éviter le sentiment de honte ; de l’éviter aux autres aussi.

  • Du walaf « rus » ou certainement « ruus » tel l’arbre qui perd ses feuilles, pour éviter de perdre la face
  • Ou « Gacce » : du Pël « accu », laisser. Liy tax ñëp baayi la

Qu’est-ce qui peut garantir ce vivre ensemble ?

  • D’abord chaque sujet de la ville doit être = le Pël dit « neddo », littéralement « celui ou celle qui est actif, qui est présent ».. L’expression walaf « ba la nga ni naam, ne fa » traduit bien cette lexicologie de l’être par sa présence active dans le lieu. Donc il faut d’abord être citoyen par l’activité
  • Ensuite, l’être ensemble se construit par la nature de l’interpellation entre les sujets :

L’interpellation des inconnu(e)s :

le Pël dit « kaari » (toi qui vient d’arriver) ou « diw » en walaf (qui serait surement un glissement du « diwngal » la charge » en Pël ; donc celui qui doit momentanément être pris en charge.

L’interpellation entre habitants :

Chez les Pël, on utilise « dendi » (pareil que le mot walaf « dind », être à côté.  « dindi » pour dire « voisin » mais aussi « cousin » ; ceci afin d’absorber tout ce qui peut obstruer la relation directe

Chez les walaf, on utilise, entre autres expression « mbokk » (le fameux « mboka » chez les gambiens). Celui ou celle avec qui on partage.

 

Vivre ensemble, on le voit, a toujours été, d’abord, une grande marque de générosité. Générosité dans ce qu’on a, mais surtout générosité dans sa relation à l’autre.. Le fameux « yééne » walaf ou « yeela » en Pël.

Des maximes célèbres de cette époque nous sont parvenues « yéene néeg la, borom ma ciy fanaan ».

Le « néeg » (chambre) comme intérieur, mais aussi le « néeg » comme la ville.

Ce « néeg » où nous dormons avec nous-même, avec ce que nous sommes, avec nos intentions, avec nos fragilités. Ce néeg comme ville où nous nous mouvons et partageons, parés de ce qui honore l’humain en nous, ce néeg, a une exigence : être beau

Si notre « néeg » est beau, nous serons heureux dans notre « chez moi ». Si notre ville est belle, nous nous aimerons, nous estimerons et y marcherons avec fierté et solidarité, ENSEMBLE.

Le Sénégal a été cela.

Qu’est-ce qui s’est passé entre ces moments d’intenses esthétiques sur nous, en nous et autour de nous et cet instant présent où le désir de la honte de l’autre est semé à tout vent ? Qu’est-ce qui a fait que nous ne détournons plus le regard pour ne pas voir la peur dans les yeux de nos protagonistes ?

L’enfance dans la ville

Une dernière obligation pour un meilleur vivre ensemble : le rapport à l’enfance.

“Xale, alalu Yàlla la”

Nous ne serons un peuple économique, un peuple politique que si la sincérité de notre statut de peuple croyant est avérée.

A quel moment avons-nous méprisé toute la splendeur, la beauté et l’espoir qui émanent de l’enfance ? De « xale » (xal : « braise ») = en référence à la splendeur de la braise incandescente, lumineuse, cet être de l’avenir a toujours été choyé pour être nommé « suka » en Pël (signifiant « rempli de vigueur et de savoir »). Baaba Maal dira d’ailleurs, dans son œuvre « suka naayo », « saa naayi ma, mi naayo » : (enfant, si tu tangues, je tombe »).

En âge adolescent, walaf et Pël font alliance pour trouver le nom le plus beau pour l’enfant : « ndaw » ; c’est ainsi que le Pël nomme le « paon ». Symbole de la beauté, du divin, de la bonne santé.

Nous voyons donc que le “vivre ensemble” repose sur un pilier essentiel qu’est le beau. La beauté dans le langage, la beauté dans nos relations, la beauté dans nos espaces de vie, la beauté dans nos allures, nos parures et nos coiffures.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Oumar Sall

Photo : Dian Diallo