Les sphères où l’artiste est attendu ?
Le principe de “la délégation de pouvoir” est aujourd’hui fortement remis en cause du fait de son absurdité (moins de 2 millions de personnes choisissent un Président pour 14 millions d’autres) ; l’impossibilité des électeurs à faire respecter aux gouvernants les principes de base de la vertu et de la sobriété.
Le principe de “la délégation de pouvoir” est aujourd’hui fortement remis en cause du fait de son absurdité (moins de 2 millions de personnes choisissent un Président pour 14 millions d’autres) ; l’impossibilité des électeurs à faire respecter aux gouvernants les principes de base de la vertu et de la sobriété.
En dehors des frontières, “l’Occident laïc et opulent ébranle nos pays qui vivent une situation d’émulation, prêt à l’euthanasie en ce qui concerne les différences culturelles et anthropologiques. La différence ne réside pas dans le fantasme de la consommation, le désir hystérique de biens et de gadgets technologiques, mais dans un usage différent qui déplace le problème vers l’objet abstrait de la foi” nous avait prévenu Achille Bonito Oliva, Président du Jury du Dak’Art en 1998
Achille Bonito Oliva avait aussi, toujours en 1998, attiré notre attention sur la situation actuelle du monde. Il disait ceci : “En Occident, si la peur interne d’une prise de pouvoir par une révolte de classe a disparu, toutefois, le fantasme subsiste de possibles invasions extérieures de populations chassées de leur territoire par la crise des systèmes politiques. Ce qui conduit à une fragilité des frontières géographiques et culturelles, à l’insécurité de l’identité nationale, mise à rude épreuve par la circulation internationale.”
- Le social: le caractère abstrait du communisme n’a pas tenu face à la loi sauvage du marché. Jamais, pourtant, ce qui est appelé « demande sociale » (pour exprimer peut-être le désir de bien-être et de plaisir) ne s’est posée avec autant d’urgence. A l’impuissance des Etats face aux multinationales qui sont les véritables maîtres du jeu, les citoyens sont de plus en plus inquiets et inquiétés. Même les partis dits « socialiste » sont en rupture de promesses sociales crédibles.
Quel nœud social l’artiste pense-t-il alors délier pour opérer d’abord une déprise, créer ensuite une reprise pour enfin témoigner d’une re-circulation qui semble s’être arrêtée ?
Quelle est cette société dont nous doutons de la bonne santé ?
Nous inaugurons une décennie durant laquelle ces interrogations auront légitimité.
« La “droitisation” du monde s’accélérant, et le tournant autoritaire des démocraties libérales ne cessant de se confirmer, les années qui viennent seront très difficiles. Bien des conquêtes que l’on croyait irréversibles seront remises en cause. Les forces de la peur puiseront de plus belle dans les réserves pathologiques dont tout régime de domination a besoin pour son fonctionnement (ces mauvais objets que sont les identités, l’islamophobie, la chasse contre les minorités, et évidemment le sexisme, le racisme). Plus que jamais, cependant, la pensée critique sera nécessaire ». Achille Mbembe
Et si le rôle de l’artiste était d’être à l’avant-garde de cette pensée critique ?
Dans la contemporanéité de ce qu’offre le créateur, il est donc attendu principalement deux choses :
- Une création qui interpelle, avec justesse et sans ambiguïté, le mental de ses concitoyens. Entre autre, le travail de Viye Diba présenté lors de la dernière Biennale de Dakar relève de cette responsabilité.
- Une création qui avertit et fait presque dans la divination. (Exemple de cet artiste ivoirien auteur de l’œuvre “la fin de la recréation” quelques mois avant le conflit ivoirien).
- Sans être démiurge ou devin, l’artiste observe le rythme du monde pour nous renvoyer une imagerie bavarde à travers le miroir de nos lendemains.
Dans tous ces cas, s’agit-il de rester ordinaire ? de faire savant ?
L’essentiel est d’interpeller le mental. Parce que tout peuple a besoin d’être abusé émotionnellement pour retrouver son équilibre humain.
Comment ? me dira-t-on
Une utile interrogation des objets des sociétés, tel est le rôle de l’artiste. De quel objet politique et social le peuple use-t-il pour faire quotidien ?
L’artiste, c’est celui-là même qui sait dresser ces objets par ordre d’urgence.
- Qui, finalement, juge de la pertinence de l’ordre de prioritéS que se fait l’artiste ?
- Entre un créateur qui interroge la dictature et un autre qui investit les paysages villageois, qui utilise le mieux ces objets du quotidien ?
- Existe-t-il des objets ordinaires et d’autres savants ?
- Traiter de la symbolique du corps dans l’espace religieux est-il plus urgent que peindre la vie des enfants talibés ?
- Traiter du beau dans un contexte d’oppression dictatoriale est-il condamnable ?
(Nous vient évidemment à l’esprit les attaques de Mongo Beti contre Camara Laye)
Qu’est-ce qui différencie quelqu’un qui peint, dans une démarche didactique, pour dénoncer la maltraitance des enfants, des femmes ou l’allaitement maternel à un autre qui est sur un tout autre registre d’interpellation mentale ?
Le premier, inscrit dans l’amplification de valeurs, peut-il être appelé « artiste » ? Le second, créateur d’émotions, est-il celui qui mérite le mieux ce statut professionnel « d’artiste » ?
Là, prennent importance deux éléments clefs : le jugement et l’interprétation.
Naît alors un « savoir » construit et élaboré académiquement par des personnes qui se proclament érudits et savants pour « juger » et « interpréter » le travail de l’artiste. Ils s’appellent « commissaire », « curator », « directeur artistique », etc. Mais là n’est pas le propos d’aujourd’hui.
Art vital ?
En quoi l’art est-il vital ? Quelles sont ses formes acceptées comme telles, même dans des territoires ruraux ?
Qu’en est-il des terroirs religieux où les pratiques artistiques sont parfois bannies ?
Nous entrons, ici, dans un autre registre qui voudrait que l’art, s’il est aussi vital qu’on le prétend, soit présent partout.
Est-ce le cas ? Oui, il l’est.
Comment ? Parce que je reconnais à l’art deux pouvoirs essentiels : il apaise ou trouble. La peur ou l’espoir. L’art se manifeste alors comme un « savoir-faire », mais aussi un « savoir-dire ».
En tout territoire, l’homme est, selon, alternativement (ou même constamment) habité par un des deux états. La culture elle, par sa fonction de production de savoir-vivre (de gaité), complète tous les quotidiens.
Une quelconque responsabilité de l’artiste ?
L’artiste est un être dans le trouble, dans le déséquilibré. Il cherche à trouver écho chez d’autres pour ne pas sombrer.
Peut-il, dès lors, être indifférent ? Demeurer dans la neutralité ? Un homme du juste milieu ? Un homme qui s’efface ? Qui ne fait pas face ? Un pseudo-intellectuel qui patauge dans des nuances, des jugements neutres ?
Signes et Ressources de l’artiste pour exister
Tout, dans ce que produit l’artiste, est signe.
Si nos signes sont faibles, insignifiants, la philosophe Nadia Yala Kisukidi dira, lors des Ateliers de la pensée organisés récemment à Dakar, ils seront alors incapables de traduire le sens des choses.
Comment alors produire des signes forts ?
Par la lecture, le voyage, le vécu, les rencontres, le sens aigu de l’observation, l’attention aux rythmes du quotidien, l’amour, le courage, la vertu, l’humilité, etc.
Parce que, c’est dans la production de ces signes puissants, que les ressources se renouvellent et s’enrichissent : les langues, les croyances, les senteurs, la parure, les cultures.
Pour conclure, je questionne le libellé : “L’artiste a-t-il un rôle à jouer dans la recherche de solutions aux problèmes politiques et sociaux ?”
Oui.
En sortant des artifices,
En investissant le nouveau,
En étant dans l’avant-garde,
En arrêtant d’adapter des modèles langagiers occidentaux, non justifiés,
En arrêtant de vouloir, par de l’ingéniosité, passer de l’oral à l’écrit,
En arrêtant de prétendre une originalité interne alors que la copie de modèles extérieurs est flagrante,
En s’écartant de la reproduction qui ne fait que se greffer sur le tronc immobile des traditions.
Oumar Sall
crédit photo ; Baay Faal Bathily Festimod